Possibilité pour un salarié de produire un enregistrement clandestin pour démontrer le harcèlement moral qu’il estime avoir subi
20/09/2024L’assemblée plénière de la cour de cassation a, par décision du 22 décembre 2023 (nº20-20.648), opéré un revirement de jurisprudence en déclarant qu’une preuve déloyale (obtenue à l’insu d’une personne au moyen d’une manœuvre ou d’un stratagème), peut être admise dans un procès civil.
Conditions sine qua non : un tel moyen de preuve doit s’avérer indispensable et l’atteinte (généralement à la vie privée) qui en résulte doit rester proportionnée au but poursuivi.
Une salariée qui s’estimait victime d’un harcèlement moral de la part de son employeur avait notamment produit aux débats, dans le litige l’opposant à celui-ci, une retranscription d’un enregistrement, obtenu clandestinement, d’un entretien avec son employeur, lors duquel celui-ci avait exercé sur elle des pressions et l’avait menacée de licenciement si elle n’acceptait pas de rompre son contrat de travail via une rupture conventionnelle homologuée.
La Cour de cassation, a clairement rappelé la marche à suivre. Celle-ci consiste à ne pas écarter systématiquement un moyen de preuve qui apparaîtrait illicite ou déloyal, mais, lorsque cela est demandé par une des parties, à apprécier si cette preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure, le droit à la preuve pouvant en effet justifier la production aux débats de moyens portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit « indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Pour établir la réalité des faits invoqués, il appartenait à la cour d’appel de vérifier, d’une part, « si la production de l’enregistrement de l’entretien, effectué à l’insu de l’employeur, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué, au soutien duquel la salariée invoquait, au titre des éléments permettant de présumer l’existence de ce harcèlement, les pressions exercées par l’employeur pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle » et, d’autre part, « dans l’affirmative, si l’atteinte au respect de la vie personnelle de l’employeur n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi ».
En matière de litige portant sur un harcèlement moral, le code du travail aménage la charge de la preuve (art. L 1154-1).
En effet, le salarié doit d’abord présenter des éléments de fait « laissant supposer l’existence d’un harcèlement », et, au vu de ces éléments, l’employeur doit quant à lui ensuite prouver que les agissements allégués « ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
Les juges forment alors leur conviction après avoir examiné tous les éléments versés aux débats par le salarié, puis apprécié si, pris dans leur ensemble, ceux-ci permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Or, en l’espèce, pour conclure à l’absence de harcèlement moral, la cour d’appel a écarté l’enregistrement en question considérant que la salariée disposait d’autres moyens « pour prouver la réalité du harcèlement ». Ce faisant, les juges d’appel n’ont pas respecté les dispositions précitées de l’article L 1154-1, et ont manifestement fait peser la charge de la preuve principalement sur la salariée. Ils n’avaient par ailleurs pas examiné d’autres éléments produits par elle, ni même ne les avaient examinés dans leur ensemble.
La décision de la cour d’appel a donc été annulée par la cour de cassation, l’affaire étant renvoyée devant une autre cour d’appel qui devra statuer à nouveau sur la recevabilité de l’enregistrement litigieux en observant scrupuleusement la marche à suivre prescrite par l’assemblée plénière et rappelée, dans son arrêt du 10 juillet, par la cour de cassation (contrôle strict du caractère indispensable et proportionné au but recherché). La cour de renvoi devra par ailleurs apprécier les autres éléments factuels non examinés par la première cour d’appel.